Chronique 19

(Femmes d’Aujourd’hui N°25 – 24/06/04)

« Ombre et lumière »

« Ombre »

Souvent, dès qu’on s’occupe pas de moi, je suis dans ma « bulle », comme dirait maman ou papa. Que ce soit dans mon bain, sur ma bascule ou ailleurs. Ces moments sont caractérisés par de grands monologues où je dis un tas de choses : je « balance » tous les mots que je connais, et en particulier ceux qui m’ont éveillé des émotions. Je fais en quelque sorte, mon propre débriefing.
Ces propos n’ont pas toujours l’air cohérents quoique parfois, en m’écoutant bien et en analysant mon discours, on y entend d’étonnants transferts.

A titre d’exemple, il y a eu cette période où j’avais horreur que papa travaille dans son bureau, car cela voulait dire qu’il n’était pas disponible pour moi. J’en ai fait de ces crises pendant plusieurs semaines ! Heureusement, aujourd’hui c’est fini (Ouf pour papa qui avait du mal à écrire des histoires en m’entendant hurler en bas).
A l’époque donc, mécontent de son indisponibilité, je finissais pas me « défouler » verbalement dans le bain. Ayant compris qu’un objet cassé ne peut plus être utilisé, j’imaginais le bureau de papa cassé, comme cela il serait disponible pour moi. Ça donnait le monologue suivant : « Papa, le bureau, il était cassé… Lou, il est cassé. -un temps- Mais non, Loulou, il est pas cassé ! Le bureau, il est cassé. Il est cassé mon bureau… euh… Non, Papa, il va descendre du bureau. -un temps- J’en ai marre de te voir parler du bureau ».
Le message est clair, non ?

Je reconnais que papa a choisi un exemple clair, parce qu’en général, lorsque je suis dans ma bulle, mes propos sont plus incompréhensibles. Le principe est simple : pourvu qu’il y ait un sujet, un verbe et des compléments, c’est bon. Je passe du coq à l’âne, alignant les phrases les unes derrière les autres. Ça donne un « truc » dans le genre : « Mais c’est plus tard que cela… Il faut voir dans l’eau froide. Ca évolue par contre… Non, je dis non ! Mais je vais chercher le bois dans les trucs. Mais par contre, ça va durer jusqu’à la mer. C’est pour les travaux… » (et ainsi de suite).
Bref, ne cherchez pas comprendre, c’est juste pour le plaisir de papoter… et sans doute aussi pour imiter les grandes personnes

…Et « lumière »

A l’inverse, il y a les moments de « lumière » où je suis très attentif, comme un matin en voiture où papa écoutait les infos à la radio en nous conduisant, ma soeur et moi, à l’école.
Soudain, il s’est exclamé : « Ouaiiiis ! Génial ! ». Eva a alors demandé pourquoi il était content. Il lui a expliqué qu’une Nigériane, Amina, venait d’être sauvée de la lapidation, grâce, entre autres choses, à la mobilisation internationale et une pétition d’Amnesty International que lui et maman ont signée comme dix millions de personnes. Tout cela était un petit peu compliqué pour moi, mais j’écoutais. Papa a raconté à Eva l’histoire d’Amina, condamnée pour avoir eu un enfant hors mariage. Il a expliqué la charia et la lapidation. Même pour ma soeur, cela semblait très compliqué et absurde : tuer quelqu’un en lui jetant des pierres jusqu’à ce que mort s’en suive !
Alors papa a utilisé des mots simples : « C’est parce que beaucoup de gens ne savent pas pardonner et sont malheureux. Et quand on est malheureux, on est enclin à être méchant, à ne pas supporter la différence, à se venger. C’est pour cela que le monde est ce qu’il est : il y a plein de gens malheureux ».
A peine l’explication terminée, j’ai répété la question d’Eva : « Papa ? Ça veut dire quoi lapider ? »
Passé la surprise, papa m’a pris au jeu : « Ça veut dire quoi lapider, Lou ? ». Et j’ai tout simplement répondu : « C’est quand on est méchant, qu’on jette des pierres parce qu’on est malheureux ».
Je vous en bouche un coin, hein ?

Chronique 18

(Femmes d’Aujourd’hui N°24 – 17/06/04)

Jeux de mots

L’aisance avec les mots, c’est mon petit côté « génie paradoxal » : je parviens à faire des jeux de mots et de l’esprit avec le langage, et à contrario il m’arrive parfois de ne pas comprendre une phrase toute simple. De même, je suis capable d’apprendre, comprendre et entreprendre des choses compliquées, ou au contraire, avoir peur, refuser et me refermer sur moi-même lorsque l’on me demande de faire un effort. La clé ? Le jeu ! Avec moi, si vous ne mettez pas un sens ludique à votre requête, vous pouvez toujours courir. Ben oui, je ne vois pas pourquoi la vie devrait être triste.

les « mono-voyelles »

J’aime donc les mots rigolos et surtout les jeux de mots.
Lorsque j’ai entendu pour la première fois la chanson « Ma serpette est perdue » (où l’on modifie à chaque fois les mots en utilisant une seule et même voyelle comme p. ex. le « I » : « mi sirpitte i pirdie »), j’ai tout de suite accroché. Imaginez un peu. A tel point qu’aujourd’hui, je m’amuse parfois à communiquer avec mes proches en utilisant le même procédé, histoire de se marrer un coup. En « OUIN » ca donne : « Ouin poinpoin, join vioin proindre loin boin » (pour dire : « oui, papa, je viens prendre le bain »). Ca donne aussi :  » Ji t’ime tri tri firt, mi Pipi ! » (pour « Je t’aime très très fort mon papa ! »).
Dans l’autre sens aussi, je comprends quand on me parle ainsi. A la question de papa: « Sou vou biou, mou poutout Lou? » (Ca va bien mon petit Lou?), j’réponds avec un naturel déconcertant : « Ouais, mouai pouaipouai, souai vouai bouai ». (oui, mon papa, ca va bien). J’vous dis pas la tête des gens dans la rue quand on se parle comme ça !

Les langues

Toujours à ce propos, j’ai découvert avec la musique qu’il y avait d’autres langues parlées dans le monde. Le pied ! Imaginez un peu : des gens qui barraguinent des drôles de mots entre eux et qui se comprennent ! Yes ! (C’est pas comme ma soeur Eva, qui, quand elle était petite, demanda à ce propos, comment il fallait faire pour avoir plusieurs langues en montrant sa bouche.) Non, moi, j’ai tout de suite pigé. Alors Papa a commencé à me parler avec l’accent anglais. Du coup, je l’ai imité illico. Bwef, jew pawle twès twès bien english. Vouw compwenez cew quew jew vouw dire ?
Et ça m’amuse baucoup. Surtout que depuis le début de cette année, j’ai une camarade de classe anglophone, et j’entends ma maîtresse qui lui parle dans la langue de Shakespeare. Du coup, outre « Yes », je suis rentré à la maison en disant à maman : « Why do you crying? » (pourquoi tu pleures ?). L’air de rien, tout rentre dans mon « disque dur ». Je vous dis pas si un jour on parvient à connecter tous les fils entre eux… Mais ça, c’est une autre paire de manche !

Enfin, il y a un an, Eva est rentré de l’école avec des devoirs qu’elle faisait avec maman pendant mon repas . J’ai donc entendu ma soeur entonner des comptines dans un drôle de charabia : « een, twee, dire, vier, goed geval… ». J’ai demandé à Eva ce qu’elle disait. Maman m’a expliqué que c’était une autre langue (le flamand), et qu’on le parlait en Belgique. Papa a enchaîné en disant : « Wil je vlaams spreken met je vader, Lou ? » A ces mots, je me suis pris d’un fou rire !Depuis lors, régulièrement, je demande à papa : « Papa, spreek vlaams ! ». Et moi de l’imiter d’une façon bidonnante, genre : « haï, reuïl maïl yeuil reuil » (parce que beaucoup de mots, dans cette langue « sonnent » un peu comme « aïe » ou « hey » en anglais).
Aujourd’hui, lorsque je repère des personnes que je croise et qui me parlent avec ce petit accent spécial, je leur demande… de me parler en flamand. C’est trop gai !

Chronique 17

(Femmes d’Aujourd’hui N°23 – 10/06/04)

Les sensations fortes

le mouvement

Le mouvement ? C’est ma grande passion, comme dirait l’autre avec ses chevaux dans la télévision. J’adore la voiture, la poussette, être jeté en l’air, sauter ou me balancer dans le fauteuil ou sur mon cheval à bascule sur lequel, si mes parents me laissaient faire, je passerais des journées entières. J’aime aussi la balançoire, même que j’apprends (lentement) à la mettre en mouvement tout seul. Bref, j’adore tout ce qui bouge et où je dois pas trop faire d’effort (Hé, hé !). Le mouvement, c’est un peu ma drogue à moi. Un « shoot » quoi. Il paraît que c’est souvent le cas des aveugles. Essayez de vous balancer longtemps avec les yeux fermés, vous verrez… On « déconnecte » et des sensations envahissent votre cerveau. Alors papa et maman, ils ne me laissent pas trop faire cela… Je suis déjà assez dans ma bulle comme ça.

les manèges extrêmes !

Ce que j’adore par dessus tout, c’est les parcs d’attraction avec leurs montagnes russes ! Maman n’aimant plus trop ça, c’est toujours papa qui s’y colle. Je suis alors insatiable ! J’peux faire dix fois, vingt fois la grande balançoire bateau qui vous soulève le coeur, une montagne russe qui vous secoue comme un shaker, un manège qui tournoie dans tous les sens. Parfois au bout du compte, papa en a la nausée pendant que je moi j’en réclame encore !
Dans certains parcs, les responsables sont tellement gentils qu’heureusement, on ne doit plus faire les files interminables qui m’énervent (Mettez-vous à ma place : 15, 20, 30 minutes debout à avancer à petits pas, attendre, me cogner sur les rambardes etc…).
Ailleurs (à la foire du midi de Bruxelles), certains responsables de manège ont été si gentils qu’ils ont accepté, à la demande de mes parents, de diminuer la musique tonitruante au moment où j’allais y aller parce que celle-ci me faisait peur. J’aime bien les gens gentils comme ça

Les plaines de jeux.

A défaut des parcs d’attraction, une de mes occupations favorites est d’aller à la plaine de jeux. Je peux rester des minutes entières sur un tourniquet. Un jour j’en ai tellement profité que papa, qui m’accompagnait pour me filmer, a dégusté… Je vous laisse imaginer ! Lorsqu’on est sorti de l’engin, je me suis mis à marcher droit devant comme si de rien était, par contre papa, j’ai bien senti qu’il était tout calme après. Pendant ce temps là, je me payais déjà une tranche de « bim-bam » (vous avez, ces bascules fixées à un ressort). Je peux m’y balancer tellement fort que je touche presque le sol.
Après ça, j’ai enchaîné quelques glissades sur un toboggan (je le fais seul s’il est court et avec Eva ou papa lorsqu’il est long).
Comme quoi, l’endurance en ce domaine, ça existe aussi !

En voiture

Finalement, mon « manège » quotidien, en dehors de ma bascule, c’est la voiture. Généralement, il ne faut pas me prier pour monter dedans.
Pour aller à l’école, on traverse un bois avec de nombreux virages larges qui me pressent d’un côté ou de l’autre de mon siège.
Papa en profite pour m’expliquer : « On touuuurne à gauche et tu es poussé à droite ! On touuuurne à droite, et tu es poussé à gauche ! C’est drôle, hein ? »
Ben oui, ça me plaît, mais la force centrifuge comme dit papa, c’est une sacrée notion à comprendre, même si je la « pratique » souvent.
Parfois, quand on arrive dans notre quartier, papa en profite même pour faire tanguer la voiture de droite à gauche en donnant des petits coups de volant (je le sais, parce qu’il m’arrive aussi de m’asseoir alors sur ses genoux pour conduire l’auto avec lui dans notre rue !).
Mais ma vie en voiture, c’est encore toutes des histoires que je devrai un jour vous raconter !

Chronique 16

(Femmes d’Aujourd’hui N°22 – 03/06/04)

Crevé !

« A mesure que le temps passe, je mesure le temps qui passe (…) On s’embrassera dans le cou. Il y aura tout autour de nous. » (Benjamin Biolay – « Les cerfs volants « )
Histoire d’un samedi matin pas comme les autres… Quoique. Maman et papa sont rentrés aux petites heures (concert puis resto avec des amis).
A 6h00, je gazouille et m’agite dans mon lit. A 7h00, Eva vient s’occuper de moi pour laisser maman et papa dormir un peu… Je suis adorable avec ma soeur, mais à 8h15… j’ai faim ! Alors elle monte chercher maman (samedi, c’est le jour de récup. de papa). Elle se lève et me rejoint… mais j’ai envie de papa. Je ne le sais pas encore, mais à ce moment là, il m’entend le réclamer et il se dit qu’il ne dormira plus. Lorsque je reconnais ses pas dans les escaliers, j’exulte : « Papa est là ! ». Je l’aborde d’entrée de jeux : « Alors papa, il est où Benjamin Biolay ? » Maman m’explique qu’ils l’ont vu hier en concert (ca j’avais pigé, sinon j’en parlerais pas !) Maman : « Un concert, ça fait un petit peu beaucoup de bruit pour toi, mais un jour, on t’y emmènera ». Moi (têtu): « Il est où Benjamin Biolay ? C’est quoi les Papous ? On va au marché ? » – « Mais non, mon petit bonhomme, on est samedi ! » Moi (micro-crise): »Samediiiiii ! » Maman : « Demain, ce sera dimanche et tu iras au marché avec papa ! » Moi : « Il est où papa ? » Papa : « Je suis là ! » Moi : « Il est où dimanche ? » Maman : « Dimanche, c’est demain. Aujourd’hui, on est samedi. » Moi : « Il est où aujourd’hui ? Demain, c’est aujourd’hui. Et il est où Benjamin Biolay ? ». Papa (diversion) : « Loulou, On va prendre un petit déjeuner tous ensemble. C’est pour ca que papa s’est levé tôt pour un samedi. Et puis, si tu veux, on écoutera le disque de Benjamin Biolay ».
OK. Je marche ! Papa va à la boulangerie et au magasin de journaux (en ayant pris soin de me prévenir parce que j’aime pas quand il part sans prévenir). Moi : « Papa, tu aimes bien le magasin de journaux ? » (un grand classique de mon répertoire). Papa: « Oui andouille, j’aime bien le magasin de journaux ! A tout de suite, Loulou. » Moi : « A tout de suite, mon papa. »
Mathilde a été sortie du lit (elle aussi) par le tintamarre familiale. Petit dej. à 5. Croissants, jus d’orange frais, café et chocolat chaud. C’est rare étant donné les horaires si différents les uns des autres en semaine, et puis, comme il faut en permanence s’occuper de moi lorsque je mange, c’est pas évident d’être « ensemble ».
Après cela, maman m’emmène à une plaine de jeu… mais sa voiture a un pneu crevé. On ira à pied pendant que papa réparera la voiture de maman.

Rentrant de balade avec maman, je retrouve papa dans la rue, occupé à remplacer le pneu crevé de la voiture de maman. Le bruit grinçant du desserrage des boulons me plaît et je veux rester près de lui. « Crac » fait le boulon ! – « Cling » fait la clé qui tombe sans arrêt. Chouette ambiance sonore ! Papa en profite pour me faire sentir le vieux pneu crevé et le nouveau.
J’essaye même d’en soulever un. C’est lourd ! Il me montre aussi qu’un pneu, ça roule. Ben oui, pour moi, une voiture ça se résume à un déplacement entre deux endroits, à du bruit, du mouvement, une portière arrière (la mienne), un siège et le dossier de celui de papa, et enfin, à de la carrosserie. Je n’ai donc qu’une perception fragmentaire de ce qu’est une voiture. Il en est de même pour beaucoup de chose que je découvre petit à petit.
Voilà donc le pneu remplacé. Je suis comme lui : crevé (c’est l’heure de la sieste car je me suis réveillé tôt ce matin), et pour papa itou car le soir, ils sortent de nouveau.
La vie est belle.

Chronique 15

(Femmes d’Aujourd’hui N°21 – 27/05/04)

Le « roman » de mes repas.

Mes repas, c’est toute une histoire.
Cela remonte, à l’origine, vers mes deux ans et demi : trois jours sans maman. Elle était partie suivre une formation pour son métier. Je me suis donc retrouvé seul avec papa. Ce n’était pourtant pas la première fois, mais cette fois-là, je ne l’ai pas avalé. Conclusion : trois jours de grève de la faim, intégrale. Juste de quoi renvoyer mon angoisse à papa. Bonjour le stress avec effet boomerang. En représailles, par la suite, il fut hors de question que quiconque d’autre que maman soit ma nourricière, à l’exception du petit-déjeuner et de Bonne-Mamy (allez comprendre…).

Etant scolarisé, j’ai donc opté pour sauter le repas de midi. Je prends donc deux repas par jour. Le matin, je prends un méga petit-déjeuner (entre six et dix tranches de pain) – ben oui, faut que je fasse mes réserves -, et après l’école, j’attaque l’enchaînement gargantuesque : le repas chaud, le goûter (des fruits) et enfin les tartines (entre quatre et huit tranches). Durée du banquet : une heure.
Il faut savoir aussi que j’ai conditionné mes repas à l’écoute de musiques et autres histoires sur mon petit enregistreur. Pas question de manger sans écouter une cassette. A cela, il convient de rajouter en arrière-fond sur la chaîne hi-fi une musique de mon choix (cfr. articles précédents*).
Ceci dit, je l’ai bien remarqué, mes parents sont en train de mettre un frein à cette pléthore de sons ambiants (parce qu’en plus, certains soirs ou les matins des week-ends, il faut y rajouter Eva qui tente de regarder ses dessins animés à la télé. Papa, lui, il a tout simplement renoncé à écouter ses infos à la radio à ces moments-là). Bref, aujourd’hui, ils m’obligent à choisir soit un C.D., soit une cassette. Et la « pilule » commence à passer.

Il y a un an, papa a tenté une énième approche pour qu’enfin j’accepte de manger avec lui. C’était un jour de crise. Il m’entendait hurler à table. Il est descendu et a réussi à me détendre. Il est resté ensuite à côté de maman pendant tout le repas. Le jour suivant, il a récidivé et, le tricheur, a profité de ma cécité pour me donner la cuillère à la place de maman. Dès que j’ai repéré le manège, j’y ai mis un holà instantané. Mais le « mal » était fait, d’autant qu’il a continué de me faire rire avec ses bêtises. C’est ainsi que, jour après jour, j’ai fini par accepter de manger avec lui… au point, parfois, d’inverser le blocage : j’veux papa pour manger !

Le temps du repas est aussi le moment que j’aime pour jouer avec les mots et avec ma mémoire : j’invite mon nourricier ou ma nourricière à faire « les pays » (*), « les papous » (*), « les jours de la semaine », bref, à causer avec moi.

Pour clore le sujet, il faut que je vous dise aussi ce que – et -comment je mange. Car pour un aveugle, c’est un long et difficile apprentissage. Tout d’abord, concernant les tartines, on me les livre prédécoupées en petits morceaux et sans croûte. J’aime pas les croûtes, c’est dur ! De même, pour les repas chauds, faut que tout soit mélangé et sans de trop gros morceaux (c’est flippant dans la bouche). Et puis, bien sûr, jusqu’à mes quatre ans, il a fallu me donner la becquée avec une cuillère. Petit à petit, maman ou papa m’apprennent aujourd’hui à plonger moi-même la cuillère dans l’assiette creuse, histoire de commencer à manger comme un grand. « Youp! » en est le mot code. Un jour, peut-être, j’arriverai à manger tout seul, à découper la viande. Mais ça, c’est encore bien trop compliqué pour moi. Enfin, faudra surtout que j’accepte de manger avec d’autres personnes !
Avec moi, l’apprentissage est une affaire de patience…

Chronique 14

(Femmes d’Aujourd’hui N°20 – 19/05/04)

Mes nuits

Un vilain cauchemar

Il y a quelques mois, j’ai fait un vilain cauchemar . Je pleurais en appelant papa. Ça ne m’arrive pas souvent… une fois par mois… (Par contre, toutes les nuits, je rêve en parlant tout haut et en m’agitant dans mon lit). Ben oui, j’ai beau être aveugle, des « images » et des histoires « à ma façon » se créent dans mon esprit pendant mon sommeil ! Sans doute un peu à la façon de « Tron » (le film des studios Disney) puisque je n’ai pas la représentation visuelle des choses (cfr. la photo que papa a bidouillé pour cet article).
Papa (il me l’a dit pour me consoler), il pense que cela ne doit pas être facile pour moi de distinguer le réel du rêve, et qu’une des clés pour me faire progresser dans la compréhension de la vie, c’est de bien me faire comprendre la différence. Alors il a d’abord cherché à ce que je lui raconte mon cauchemar… Mais c’était trop difficile pour moi. Du coup, l’émotion est remontée (sa présence m’avait déjà rassuré), et tout d’un coup, j’ai à nouveau pleuré un petit peu. Ca m’a fait du bien, surtout que papa, il me faisait plein de câlins. Il m’a expliqué que le rêve (ou le cauchemar), c’est pas la vraie vie, c’est ma tête qui évacue les émotions accumulées… Et que donc, si quelque chose ou quelqu’un de méchant m’a fait peur ou mal dans mon rêve, c’est pas la vérité et la vraie vie. Je lui ai répondu par ma comptine qu’on a inventé avec maman : « Tu ne dois pas avoir peur ». Il a chanté la deuxième voix avec moi (j’adore les deuxièmes voix)… Je me suis détendu… j’ai dit à papa : « papa et maman, ils sont là pour protéger Loulou ! » et me suis rendormi rassuré

Mes « raves » nocturnes

Je fais donc rarement des cauchemars. Par contre, j’adore faire des fêtes dans mon lit en pleine nuit. Ça me prend comme ça, par période, sans raison apparente : 4 heures du mat., et hop, je pète la forme !

Une nuit, ce fut le tour de papa de venir me dire gentiment qu’il fallait dormir. Je lui ai répondu aussi sec : « J’ai pas envie ! ». Il m’a dit que je serais crevé le lendemain, que c’ était la nuit, et que si je voulais pas dormir, je devais quand même laisser les autres dormir.
Faut dire que je chantais à tue-tête : « les fan- les fantômes » d’Henri Dès, en faisant des percus avec mes pieds contre le tableau d’éveil Fisher Price qui est accroché depuis que je suis tout petit aux barreaux de mon lit (vous savez, ce panneau en plastic où il y a : un disque de téléphone qui fait « crrrr », un rouleau qui fait comme un bâton de pluie, un petit lapin et une tortue qui font la course quand on les glisse sen faisant « tac-tac-tac-tac-tac », une sonnette etc…).
Moi j’adore ce truc, c’est une référence spatiale dans mon lit. Et puis je fais presque toutes les activités créatives… les yeux fermés (ben oui!), et avec les orteils, s’il vous plaît.
Parfois aussi – comme cette nuit là par exemple-, je l’utilise comme percussion en shootant dedans. J’vous jure que le résultat est pas mal : genre boîte à chaussure avec des billes dedans qu’on secoue. A quatre heures du mat., dans le calme de la nuit, je vous assure que le son en vaut la peine.
Bref, papa m’a dit d’essayer de dormir et surtout de ne plus faire de bruit. Ce que je.
Le matin, quand papa s’est levé, il m’a entendu chantonner discrètement. Ben oui, le message était passé. Quand il est arrivé dans la chambre, on s’est fait une partie de « fauteuil qui pleure » (*les guili-guili), en alternant les rôles. Car nouveauté dans le domaine, je fais aussi des guili-guili aux autres maintenant. (En réaction, mes parents rient et en remettent une couche je le sais bien, mais j’aime les entendre se marrer.)

Chronique 13

(Femmes d’Aujourd’hui N°19 – 12/05/04)

Les gros mots

Emotions et « lumière »

De retour de l’école. Une journée bien remplie. Fatigue et émotions m’emplissent le coeur. Mon chagrin est inconsolable, mes propos confus. Papa et maman n’en comprennent pas la cause. Puis soudain, la « lumière » dans ma tête : j’enchaîne les mots et les dialogues avec maman et papa comme jamais auparavant : « Lou, il pleure. (…) Loulou, il doit pas pleurer. Loulou il peut pas dire de gros mots sinon Marie-Anne se fâche » (sa maîtresse). Maman (qui a compris) : « C’est juste, mon Loulou et Marie-Anne, elle a raison ». (Ma tristesse disparaît peu à peu) Moi : » Oui, je dois bien obéir à Marie-Anne, Marie-Anne elle est gentille. Mais elle sa fâche quand je dis des gros mots. Alors, je peux pas dire des gros mots. C’est comme papa et maman qui se fâchent quand Loulou, il est pas sage. (NDL: texto 🙂 A propos, je dois bien jouer avec mes petites mains(*) avec Marie-Anne, sinon, je suis un bébé Cadum ! ». Papa se retient de rire : « C’est exacte, parce que Marie-Anne, elle a plein de choses à t’apprendre. ». Moi: « A ce propos (NDL: re-sic!), je dois pas avoir peur. Je dois faire confiance à Marie-Anne. Je dois bien apprendre pour ne plus avoir peur ». -un temps- « Marie-Anne, Maman et papa, ils sont là pour me protéger. C’est pour cela que je dois pas avoir peur ». (Je suis tout sourire et j’étreints papa) « Je t’aime, mon papa ! » Papa: « Moi aussi je t’aime, et c’est pour cela qu’on t’aide à ne plus avoir peur. Au plus tu apprendras de choses, au moins tu auras peur ».
Je finis en faisant des doudouces sur le visage de papa et maman. Retour dans le positif. Mes émotions sont évacuées… je suis tout roudoudou, tout joyeux. La vie est belle et je sais très bien que Marie-Anne, papa et maman, ils m’aiment très fort et qu’ils font les choses pour mon bien

Merde = craque-boum-zute-flute !

L’origine de ce gros chagrin ? Vous l’aurez compris : les gros mots.
Une maladresse ? Et hop, Papa ou les autres en prononcent un. C’est comme ça que j’ai découvert le fameux mot. Il n’en a pas fallu plus pour que je l’enregistre dans mon petit disque dur. Du coup, j’ai commencé à le dire très souvent, comme un jeu et à toutes les sauces : façon « Petit chien courage »(*), à la manière de Monsieur René (*) etc. Le plaisir de la transgression. Ben oui, je ne voyais pas pourquoi les autres pouvaient et moi pas… Puis, d’une certaine façon, M… est synonyme de soucis, c’était donc une manière pour moi d’apprivoiser la « tension » du moment (On ne le dit quand tout va bien, hein ?).
Mais comme d’hab., j’ai un peu exagéré aussi, je le reconnais. Cela m’amusait tellement qu’à l’école, je n’arrêtais plus de le dire sans raison. Evidemment, tout comme mes parents, ma maîtresse (que j’adore) ne m’a pas laissé faire. Papa et maman ont bien essayé de me l’interdire, mais moi, je contournais l’obstacle en jouant : (moi): « Merde ! » – (toujours moi) -« Mais, petit Lou, tu ne peux pas dire merde ! » (etc.).
Depuis lors, mes parents ont trouvé la parade : ils me disent que je dois dire « flute » ou « zut » ou bien encore (ça m’a bien fait rigoler) : « Craque-boum-zute-flute ! ». Ce qui fait que pendant un temps, j’ai transformé mon jeu en disant : « On ne peux pas dire merde, on doit dire craque-boum-zute-flute ! ». Enfin, toute la famille a surveillé son langage même si parfois, j’entends encore ce mot qui me fait réagir instantanément : « Hein, hein, hein, maman a dit un gros mot ! ». Et de demander alors une justification : « Maman, est-ce qu’on peut dire des gros mots ? ». Et mes parents en chœur, de répondre : « On doit essayer de ne pas en dire ». Moi (malicieux) : « Et on peut dire… merle ? »

* voir chroniques précédentes.

Chronique 12

(Femmes d’Aujourd’hui N°18 – 5/05/04)

Les bruits de la vie

Mes talents d’imitateurs.

J’adore par dessus tout inventer, créer ou reproduire des sons. Faudrait même qu’un jour papa, il en parle à ses copains bruiteurs de films (je blague, parce que pour cela, je devrais être capable de travailler en voyant les images !). Figurez-vous, que j’imite à la perfection (entre autres choses) le bruit de la tondeuse à gazon et celui du taille bordure. Vous remarquerez la précision : ce sont deux sons très distincts ! Dès que j’entends une tondeuse dans le quartier (même à deux cents mètres), je veux aller au jardin pour l’écouter… De la raison des crises quand l’herbe est mouillée (rappelez-vous la seconde chronique).
La plus belle anecdote en ce domaine remonte à un dimanche, il y a six mois environ.
Cela faisait une semaine que nos voisins aménageaient leur cave : nettoyage, peinture, forage etc… . Dimanche donc, le voisin me voit revenir du marché avec papa et vient me saluer : « Bonjour, Monsieur Lou » (je le reconnais tout de suite à son accent hollandais) …et je ne réponds pas ! Papa : « Lou, tu dis bonjour à Geert ? » Ma réponse : « Vrrrouiiiiiiiiiiiiii » (onomatopée). Geert (gentil): « Tu en fais de beaux bruits ». Papa (« TILT » dans sa tête) : « Lou, c’est quoi le bruit que tu fais? ». Moi : »J’imite les travaux ». Et effectivement, je venais d’imiter à la perfection le bruit de la foreuse attaquant une pierre et que l’on entend à de l’autre côté du mur (Je suis sûr, cher lecteur, que ce son particulier vous revient tout de suite en mémoire). Papa avait bien deviné et Geert en était scotché !

La porte qui grince

J’aime tellement les sons, qu’il y a peu, un de mes « trips » était de me mettre dans le vestibule et d’y rester longtemps à faire grincer la porte menant au living. Faut dire que papa n’avait plus mis d’huile depuis longtemps et qu’elle faisait de superbes bruits selon que je la fasse bouger lentement ou très vite. Un vrai château hanté. C’était génial et je m’amusais comme un petit fou :
Moi : « Porte, tu ne peux pas faire oooouuuuiiiiiiii ! » Puis je faisais grincer la porte et me fâchais encore plus fort : « Porte ! Qu’est-ce que j’ai dit ! Tu ne peux pas grincer! » ou « Tu ne peux pas pleurer! »(etc…) . Le problème, c’est que la voisine était réveillée par le bruit de la porte quand maman et papa, ils rentraient tard le week-end (ils aiment bien faire la fête et décompresser le w-e). Du coup, maman (oui, maman ! Bravo, papa!), a mis de l’huile dans les gons. Drame ! J’ai piqué une de ces colères… J’étais triste à l’infini et je disais : « La porte, elle pleure parce qu’elle ne grince plus ! ». Ma tristesse a duré deux ou trois jours ! Alors, mes parents ont trouvé la parade et m’ont dit : « Tu vois, la porte, elle ne pleure plus… Ca veux dire qu’elle est contente ! Elle aimait pas grincer ». Ils m’ont bien eu !
N’empêche, qu’avec un tel argument, ils ne sont pas sortis de l’auberge pour m’expliquer qu’un fauteuil, une chaise, une table (…), ça ne vit pas comme nous les humains, ou les animaux. Faut dire à ce propos que j’ai une furieuse tendance à soit opérer un transfert de mes sentiments sur les objets, soit à avoir difficile de distinguer le « vivant » du « matériel ». Ben oui, qu’est ce qui est « vivant » entre : une télévision, un enregistreur, un lecteur de CD, ma peluche éléphant contenant une puce électronique qui lui fait répéter tout ce qu’il entend, une voiture, les éléments (le bruit du vent, de la pluie etc.), et le bruit de la vie (les animaux, les humains) ? Tous font du bruit et donc, d’une certaine manière, vivent à mon oreille.
Pas simple la vie sans la vue, je vous jure, mais si riche en sons !

Chronique 11

(Femmes d’Aujourd’hui N°18 – 29/04/04)

Ça marche !

N’ayant pas la vision pour me motiver, j’ai commencé à marcher à quatre pattes vers deux ans… J’avais pas trop envie, je préférais vivre de son. Et puis, il y avait la trouille. Mettez-vous à ma place !
A peu près en même temps, j’ai commencé à marcher en donnant la main (cahin, caha) à « mon guide » (maman, papa ou quelqu’un en charge de me prévenir de tous les obstacles : une marche, un mur, une porte, un escalier…). Il a fallu que j’apprenne l’équilibre aussi. Et je vous jure que sans la vue, c’est pas évident !
C’est ainsi que, finalement, j’ai marché de façon « autonome » vers mes trois ans (parce qu’il fallait bien et qu’on m’y obligeait !). Aujourd’hui, je commence à prendre plus d’assurance et d’initiatives dans les lieux que je connais… mais j’oublie souvent de mettre mes mains devant moi. Petit à petit, on me donne à l’école une « pré-canne ». C’est un drôle de truc comme un manche d’une tondeuse à gazon (donc un arceau), sauf qu’à l’extrémité, il y a un rouleau qui roule sur le sol. Cela m’apprend à « sentir » les obstacles par le biais du « manche ». Enfin, il faudra attendre que je sois grand pour me donner une vraie canne et que je sache l’utiliser. Il faudra surtout, que j’en sois capable intellectuellement, que je réfléchisse un petit peu plus dans ma petite tête, parce que si ça devait être comme aujourd’hui, je m’en moquerais et abandonnerais ma canne n’importe où.

Comme je me déplace parfois tout seul, il est important que rien ne traîne à terre dans la maison et que les choses se trouvent toujours à la même place (comme ma bascule par exemple). Une chaise oubliée en retrait de la table ? « Et bardaf, c’est l’embardée » (en hommage au génial et regretté Manu Thoreau). Une balle de tennis oubliée par le chat ? « Et zip! ». La chienne couchée n’importe où ? « Kaï Kaï Kaï » quoiqu’à la longue, elle a compris : même si elle dort, quand elle m’entend arriver, elle dégage aussitôt.
Bref, c’est bizarre, mais tous les membres de la famille (y compris mes soeurs), qui étaient plutôt bohêmes, sont devenus de supers rangeurs ! Hé, hé, hé !

A propos de ma mobilité, Papa rêve qu’un jour les chercheurs pensent aux millions d’aveugles et malvoyants dans le monde (100.000, rien qu’en Belgique – c’est dire s’ils sont nombreux terrés chez eux !). Ce serait génial de développer un GPS encore plus précis (on y vient), mais surtout, qu’on crée des appareils adaptés à nous : avec lequel nous pourrions parler et qui nous répondrait, par exemple : « vous vous trouver rue Dupont ». Ce serait la révolution pour nous tous !

Toujours à ce propos, ce serait chouette si tout le monde faisait un réel effort pour ne pas se parquer sur un trottoir ou un angle de rue … Il nous arrive souvent, à papa ou maman avec moi, de devoir descendre dans la rue parce que quelqu’un de « pressé » ou « inconscient » se parque mal (comme lors du marché de Boitsfort le dimanche matin où on ne va pas me dire qu’on ne peut pas faire cinquante mètres de plus à pied). Et puis il y a ces chantiers publiques, où de plus en plus, vu le principe d’appel d’offres publique, les sociétés ne font plus rien pour sécuriser les piétons. Les spécialistes (observez bien et vous verrez que j’ai raison), sont ceux qui travaillent en sous-traitance pour les grandes compagnies d’électricité ou de télécommunication. Papa, il leurs a bien écrit, mais il n’est pas Premier Ministre (et il a pas envie de le devenir).

Conclusion : pensez à nous, aux autres… et vous verrez que le monde ira mieux. A force de faire plaisir (et attention aux autres), on vous rendra la pareille et le monde changera !
Bisous. Lou.

Chronique 10

(Femmes d’Aujourd’hui N°17 – 22/04/04)

Les contacts physiques

Le fauteuil qui pleure !

J’adore les guili-guili… Et comme j’ai tendance à projeter mes sentiments sur des objets (quels qu’ils soient), papa a trouvé la parade un jour où j’étais pas de bonne composition (je pleurais). Du coup j’ai dit : « Le fauteuil, il pleure ! » Papa a tourné cela à l’humour en me traitant de coquin et en m’expliquant qu’un fauteuil, ça ne pleure pas ! J’ai récidivé. Alors il m’a chatouillé… et je suis revenu dans le positif.
Depuis lors, je m’amuse à tourner toute la famille en bourrique, en faisant exprès de dire : « Le fauteuil qui pleure! ». C’est le signal pour une séance de chatouillis terribles… que j’adore. (Cfr. Photo). Comme quoi, je les ai pris à leur propre piège ! N’empêche que, pour être honnête, ça m’arrive souvent de faire ce genre de transfert : « le téléphone, il pleure » (si je peux pas parler à Bon-Papy), ou « la table, elle a mal » (lorsque je me suis cogné) etc… A chaque fois, mes parents me corrigent… Mais je sais pas si je les laisserai gagner ce combat !

Roudoudou !

Y’a des moments aussi où j’aime bien être « Roudoudou ». Papa, il dit toujours que le plus grand bonheur pour une maman ou un papa, c’est lorsque son petit enfant se trouve endormi dans les bras dans une relation de confiance et d’abandon total. Il boit du petit lait, à ces moments là. Mais avec la plupart des enfants, cette relation finit un jour par se faire plus rare, voire disparaître.
Avec moi, point de cela ! Je n’ai, de toute façon, guère le choix : il me faut faire confiance aux autres, vu mes handicaps. Bref, je peux être tout câlin dans les bras des gens. D’ailleurs, j’ai appris à faire de mignons câlins… Et puis, j’ai copié ma soeur Eva en faisant de grandes déclarations d’amour à mes parents : « Je t’aîîîîme, ma maman ! » (ou mon papa). Et ça, ils me montrent bien qu’ils apprécient beaucoup. Ca donne le change aux moments difficiles

La petite couette toute douce…

J’aime donc aussi la douceur ! Depuis que je suis né, ou plutôt, depuis qu’elle sait que je suis aveugle, maman a eu l’idée géniale de me mettre dans mon lit une couette toute douce, comme de la soie. Je l’adore : elle est à la fois mon oreiller, ma couverture, et mon doudou. En réalité, c’est la couette de quand maman était petite. Du coup, faut bien avouer, elle n’est pas en très bon état. J’vous dis pas combien de fois il a déjà fallu la raccommoder d’urgence parce que le rembourrage s’échappait des parties toutes usées. Je l’aime tellement… Elle m’est indispensable. D’ailleurs, souvent, au lieu de dire que je vais au lit, je dis : « On va retrouver sa couette toute douce ».
A ce propos, vous pouvez pas imaginer dans quelles positions papa et maman me retrouvent parfois endormi : souvent complètement découvert (malgré une deuxième couette). Toutes les positions sont bonnes : roulé en boule, à genoux recroquevillé sur moi-même, étalé de tout mon long, assis, jambes écartées et le corps couché en avant sur le matelas. Faut dire que je suis d’une souplesse incroyable ! J’pourrais dormir n’importe où et n’importe comment. Ca m’arrive même de m’endormir sur le plancher du living quand je suis crevé d’une journée bien remplie.
A un moment donné, ils avaient enlevé deux barreaux de mon lit pour me permettre de me déplacer dans ma chambre jusqu’au jour où ils m’ont retrouvé un matin endormi par terre, sans couette. Du coup, ils ont remis les deux barreaux. De toute façon, je sais très bien enjamber les barreaux le matin et le soir. Mais c’est vrai que depuis, je reste dans mon lit au moment de dormir.