Chronique 9

(Femmes d’Aujourd’hui N°16 – 15/04/04)

Mise au point

Une fois n’est pas coutume, c’est le papa de Lou qui s’exprimera en son nom propre dans cette chronique.

Cela fait deux mois maintenant qu’est publiée cette chronique dans votre magazine : l’occasion pour moi, son papa, de faire un petit point.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’à l’origine, cette chronique a été initié sur internet (cfr. liens dans la colonne de droite) où de nombreuses questions, remarques ou commentaires m’ont été adressés. Il me semble important de prendre le temps de vous les évoquer.

Il est clair que le récit de la vie de Lou, bien que tous les faits rapportés soient bien réels, comporte une interprétation que je fais en fonction de son comportement. Lou exprime ses sentiments, mais pas ses pensées, sa perception.
Néanmoins, une série de questions se posent :

Ai-je le doit d’ainsi lui prêter des réflexions qu’il n’a jamais exprimés oralement ?
Je le pense dans la mesure où son comportement parle pour lui et qu’au bout de cinq ans, j’ai appris à décoder notre petit bonhomme.

Ai-je le droit de rendre publique sa vie privée ?
Pour y avoir longuement réfléchi avec sa maman, je répondrai ceci : si un jour Lou devrait atteindre les facultés mentales qui lui permettraient de lire ou entendre les écrits à son propos, il découvrira, tel un journal de bord, le « combat » permanent que nous aurons mené pour lui permettre de vivre dans le monde qui l’entoure. Je lui expliquerai aussi combien le partage de notre expérience avec lui a apporté réconfort et encouragement à nombre de lecteurs du site, sans pour cela qu’ils soient handicapés ou qu’ils aient un enfant handicapé.
Je lui lirai certains témoignages reçus : celui de ce papa qui avait depuis trop longtemps oublié ses enfants ; celui de cet autre papa ayant un Petit Prince différent comme lui, et qui a retrouvé force et courage ; de ce grand frère de onze ans, qui après avoir lu le site, a dit « je t’aime » pour la première fois à sa petite soeur handicapée de sept ans qu’il fuyait.

L’éventuelle notoriété de Lou ne risque-t-elle pas de lui être préjudiciable ?
Je pense tout le contraire : Lou aura besoin des autres, comme nombre de personnes handicapées. Et si donc le comportement des gens vis-à-vis de lui devait être accueillant, c’est non seulement un service que je lui rends, mais un service à l’ensemble des personnes handicapées dépendantes de l’aide et de la générosité des autres, car oui, Je fais de Lou un porte-parole pour tous ceux dont la vie est « différente » de la norme.

Enfin, est-il sain de gagner sa vie en racontant la vie de son fils ?
Ma réponse est très claire à ce propos : si un jour, que ce soit par un film ou une publication à propos de Lou, je devais rencontrer le succès et par là même avoir des revenus importants, il me semble évident qu’outre le fait de permettre à ma famille de vivre décemment, je consacrerais cet argent à assurer l’avenir de Lou qui, sans un miracle, sera intellectuellement incapable de gagner sa vie. Car il n’y a rien qui me soit plus insupportable que d’imaginer qu’il soit placé dans une institution le jour où nous, ses parents, ne seront plus.

Enfin, s’il est un message que j’essaye de faire passer au travers de mes écrits à propos de Lou, c’est bien ce que lui-même a fini de me convaincre à son contact : on s’enrichit de la différence de l’autre.
Comme je l’ai évoqué dans une des « lettres à Lou » écrite sur internet, s’il est un fondement de tous les maux de l’humanité (en dehors des accidents et des catastrophes naturelles), c’est bien celui de la peur de l’autre, de cette différence qui nous renvoie à nos propres remises en question.

Ceci dit, vos avis et réactions nous intéresse, car précisément, les remises en questions sont à chaque fois l’occasion de réfléchir et s’enrichir.
Au plaisir de vous lire donc.

Le papa de Lou.

Chronique 8

(Femmes d’Aujourd’hui N°15 – 08/04/04)

Au rayon langage

Je… tu… il…

.Compliqué la langue française ! O.K.,O.K., je fais pas beaucoup d’efforts, mais c’est pas simple dans ma tête.
Dès que j’ai commencé à parler (vers mes un an et demi), j’ai mélangé le « je », le « tu » et le « il » : en fait je répétais les phrase entendues. Et pour compliquer un peu plus les choses, je confondais parfois aussi l’affirmation et la négation. Papa, il a appelé cela de la confusion mentale. Résultat, quand je voulais ma tétine pour aller dormir (ou après un bobo), je disais : « Tu veux ta tute ». Alors mes parents, ils ont trouvé le truc pour me corriger. Ils m’ont répondu : « Non, je ne veux pas ma tute ! ». J’étais alors obligé de leurs dire : « je veux ma tute ». (Qu’est ce qu’ils peuvent être ch… parfois !)
Du coup, comme j’appréciais pas trop leur jeu, il m’est arrivé de les tourner en bourrique en systématisant notre communication de la sorte : je disais mal une phrase (« tu veux de l’eau ? »), ils me répondaient (« non je ne veux pas de l’eau »), et je disais enfin la phrase correcte (« je veux de l’eau s’il te plaît, maman »). Ça en devenais presque un rite.
Il a fallu quand même presque trois ans pour en venir à bout, même qu’aujourd’hui encore, parfois je me trompe… ou je le fais exprès, par jeu

« Hè ‘oigts ‘ans ha houch »

Dans le même rayon, il y a eu les doigts dans la bouche. Je ne sais pas pourquoi papa et maman me demandaient tout le temps d’enlever mes doigts dans ma bouche quand je parlais. C’est pourtant si gai de se tripoter les dents, la joue, la langue. Je faisais ma visite du moi, quoi ! Enfin bon, je reconnais que quand je parlais comme ça, c’était encore plus dur à suivre.
Je l’ai compris parce que mes parents ont une fois de plus trouvé le truc : me prendre à mon propre jeu. Ils se sont mis à me répondre en mettant aussi leur doigt dans la bouche.
Du coup, j’ai ri et j’ai obéi… en mettant généralement le doigt une dernière fois en bouche pour dire : « houhou, hi heu ha hetre hè ‘oigts ‘ans ha houch ! »* (*Loulou, il peux pas mettre les doigts dans la bouche).

Aaah, que je cause !

Au delà de ces aspects, rites et jeux, je suis en réalité un grand bavard. J’adore dire n’importe quoi.
Par contre je déteste répondre aux questions : je fais alors semblant de ne pas entendre ou de ne pas comprendre… à moins que je ne le fasse pas exprès, mais de cela, je vous en reparlerai bientôt.
Je m’amuse donc à aligner des mots au hasard de ma pensée. Un exemple ?
Je joue souvent à téléphoner. Pour de vrai, avec Bon-Papy (ou papa et maman quand ils ne sont pas là), et pour de faux avec le téléphone « Toy Story » de Buzz L’Eclair. J’cause alors à monsieur René ou au Petit Chien Courage(*). Et comme je pousse sur tous les boutons qui font tantôt de la musique, tantôt entendre la voix de Buzz l’Eclair, ça donne un truc assez cocasse dans le genre : – Moi: « Allô ? Allô ! Oui, j’ai perdu les vacances de Mr René… » – Le téléphone: « I’m Buzz l’Eclair, for the rescue ! » – Moi:  » Oui, oui, oui, Monsieur René, c’est vrai… Oui, merci, au revoir..  » – Musique- « Oui, oui, c’est important, Monsieur René,…, Oui, je téléphone… Oui mais non. Ca va, ça va, ça va, ça va….  » – Le téléphone : « To infinity and beyond » – Moi : « Non, il n’y a pas de problème… On ne peut pas taper, Monsieur René ! C’est bien de ne pas mordre, petit chien courage. Au revoir ! » Puis je pousse plusieurs fois sur la même touche : « I am Buzz L’Eclair, I am, I am, aya, aya, aya… » Je me marre. « To infinity and beyond, To in, to in, to in, to infinity » – « Bu… bu… Buzz l’Eclair ».

…Ça c’est moi quand je joue avec les mots, enfin un exemple parmi d’autres.

Chronique 7

(Femmes d’Aujourd’hui N°14 – 01/04/04)

Mes peurs

Je vous parlais la semaine dernière de mes peurs et ce n’est pas un vain mot.
Tout ce que je ne connais pas et toutes nouvelles propositions qu’on me fait reçoivent de manière invariable la même réponse : « Non ! J’veux pas! ». Et quand on insiste, je sors la phrase magique : « J’ai peur ! ».

Ben oui, j’ai des peurs, légitimes il me semble. Il faut dire que les premiers mois de ma vie ont été particulièrement chahutés : quatre mois parsemés d’examens médicaux en tous genres que j’ai très mal vécu parce que je ne voulais pas me laisser faire (électroencéphalogramme, prises de sang, échographie, examens de la vue…), soit autant d’agressions qui n’apportaient aucune réponse à mon absence de regard et à mon problème essentiel du moment : la soif permanente. Car outre mes nerfs optiques atrophiés, j’ai l’hypophyse sous-développée ce qui entraîne que je ne retiens pas l’eau. Je bois et ça ressort aussi vite (heureusement, aujourd’hui, un médicament que je prends matin et soir corrige le problème).

Et puis, au-delà de ça, il y a tout simplement que je viens d’une autre planète et que la vôtre n’est guère rassurante. C’est comme si je vous déposais sur Mars et que je vous demandais d’entreprendre des tas de choses, de toucher des matières que vous ne connaissez pas, de manger des aliments inconnus, et les yeux bandés, s’il vous plaît ! …Le feriez-vous sans rechigner ?

Ceci dit, je dois bien le reconnaître, j’exagère aussi dans l’autre sens. Dès qu’on me propose quelque chose, je saute le « non! » et réponds immédiatement: « J’ai peur! ». Ben ouais, si ça ne tenait qu’à moi, je resterais bien sur ma petite planète faite de musiques, de sons, et de sensations de mouvement. Mais hélas, maman, papa et les personnes qui s’occupent de moi ne me laissent pas faire. Je les entends me dire et me redire qu’il y a plein de choses merveilleuses à découvrir ou qu’il est nécessaire que j’apprenne ceci ou cela. Rien de bien neuf finalement : c’est le lot de tous les enfants et tous les parents, sauf qu’avec moi, ça peut tourner en guerre de tranchée.

« Jouer avec mes petites mains »

Je suis donc frileux à l’idée de toucher n’importe quel objet que je connais pas ou d’entreprendre de nouvelles activités, ce qui provoque souvent des rapports de forces parce que papa et maman ne s’en laissent pas compter. Avec moi, il faut savoir tantôt ruser, être patient et me rassurer en rajoutant une bonne couche d’intonations chaleureuses, tantôt m’y forcer ou utiliser une grosse voix, et toujours mes féliciter et me rassurer après exécution.
A ce propos, il y a deux ans, ma Maîtresse Marie-Anne a trouvé LA phrase pour me motiver : « Loulou, tu dois jouer avec tes petites mains ». Mes parents ont aussitôt fait de récupérer l’expression. Du coup, tous les matins, en voiture pour aller à l’école, ils me le rappellent, comme un clou qu’on enfonce, encore et encore : « Joue bien avec tes petites mains avec Marie-Anne! »

Depuis lors, c’est devenu un grand classique de mon langage, d’autant plus que j’ai toujours la même maîtresse depuis trois ans. Chaque fois que j’obtempère et fais ce qu’on me demande, je dis pour me rassurer moi-même et avec une intonation motivée : « Tu vois que tu(*) ne dois pas avoir peur de jouer avec tes petites mains ! » (*J’ai longtemps confondu le « tu » et le « je », mais de cela, je vous en parlerai sous peu).

Une dernière anecdote : mes « j’ai peur » sont devenus aussi un jeu de provocation que je lance pour me faire chatouiller. C’est papa qui a lancé ça quand il trouvais que j’exagérais, et du coup, maintenant je le dis avec plein de malices dans l’attente de la sentence guillerette.

Chronique 6

(Femmes d’Aujourd’hui N°13 – 24/03/04)

Lou… et Loup

C’est un gag… mais bon ! Figurez-vous que lorsque mon papa et ma maman, ils m’ont donné mon prénom (Lou), il n’avaient pas imaginé que je serais aveugle. Ils ont bien détecté tout de suite qu’il y avait un problème, mais ils ont eu le diagnostic après 4 mois d’examens en hôpital. – un très mauvais souvenir pour eux et pour moi : je vous dis pas (p ex.) le bruit de la Résonance Magnétique -.
Enfin bref.

Il se fait qu’outre la musique, un de mes passe-temps favoris depuis que je suis tout petit est d’écouter des histoires préenregistrées. Re-gag : j’entends un conteur me parler de méchant Lou(p) dans « Le loup et les 7 petites chèvres », « les trois petits cochons », « Pierre et le loup »… Alors, pour éviter toute association erronée (Lou / Loup …méchant), papa et maman ont passé beaucoup de temps à m’expliquer que j’étais un petit garçon et non l’animal. Ben oui, sans image, c’est pas évident pour moi de faire la distinction, même s’il est vrai que cela ne semble jamais m’avoir perturbé.
« Et puis, un loup, c’est pas nécessairement méchant » qu’ils disent mes parents. J’crois que c’est entré dans mon disque dur, d’autant qu’on a …un chien loup (samoyède) qui n’arrête pas de manger tout ce qui tombe de la table lors de mes repas.

Les histoires

J’adore donc écouter des histoires « audio » avec en tête du hit-parade : « Les aristochats » (par De Funes), « Colargol » (souvenir de jeunesse de maman), et les contes lus par Marlène Jobert. Mes lecteurs de cassettes ou de C.D. doivent m’accompagner partout ou presque : ils rythment mes repas et mes loisirs à la maison (je suis capable d’écouter cent fois le même truc, et plus dingue, deux ou trois sources sonores en même temps : un conte, des chansons et les dessins animés qu’Eva regardent le soir à la télé avant le souper).

A force, j’ai très vite commencé à imiter des voix entendues. Car avec moi, question audio, rien ne m’échappe : j’ai pigé que c’est, par exemple, Marlène Jobert qui fait toutes les voix des personnages. Y suffit donc de changer d’intonation, d’y mettre l’un ou l’autre accent pour être Boucle d’or, Papa ours, Maman ours ou bébé ours, ou encore, une des petites chèvres, le Loup etc.
Et puis, j’adore les voix spéciales comme celles du personnage d’un dessin animé préféré d’Eva : le Petit Chien Courage. J’ai « flashé » sur lui car je le trouve drôle et qu’il me ressemble : il a tout le temps peur et, à ces moments là, il fait : « beloubeloubeloubelebele » très très vite. Ca me fait beaucoup rigoler !
Si mes imitations (p. ex. de Mr René qui zozotte*) ne sont pas nouvelles, ce qui est nouveau, c’est que je passe d’un personnage à l’autre en essayant de raconter quelque chose qui ait de la gueule. Ça donne un truc dans le genre une conversation entre Monsieur René et le Petit Chien Courage. Pour l’un, je prends mon ton le plus grave possible en zozotant, et pour l’autre, je prends une petite voix fluette.
Ah que c’est gai !

A ce propos, je me fais souvent passer pour le petit chien courage et j’en profite pour transgresser les choses que je peux pas faire ou dire : des renvois, des gros mots etc… Puis je dis (faussement fâché) : « Petit chien courage, tu ne peux pas faire de renvois ! » (et j’en profite pour en refaire un !). « Plus mieux », j’en profite pour faire porter mes peurs sur le dos du Petit Chien Courage.
Car des peurs, j’en ai un sacré paquet. Elles concernent tout ce qui a trait à la nouveauté ou l’inconnu… c’est à dire tout ce qui touche à l’apprentissage.
Ça vous donne une petite idée du combat éducatif que me livrent ma maîtresse et mes parents, mais ça, c’est une autre histoire…

Chronique 5

(Femmes d’Aujourd’hui N°12 – 17/03/04)

Ma tribu

Cette semaine, je voudrais vous parler de ma famille, car il n’y a pas que moi et papa : il y a aussi maman et mes deux grandes soeurs. Et ces trois là, méritent un immense hommage, moi je vous le dis !

Honneur à Eva (9ans) d’ouvrir cette galerie de portrait. Tout d’abord, parce que je dévore presque tout le temps libre de mes parents et qu’elle en paye les frais. Ensuite parce que du haut de ses 9 ans, elle comprend les explications de papa et maman à propos de la place imprévue que j’occupe dans la famille. Enfin, parce qu’elle a un coeur d’or : il arrive souvent, lorsque je me fais mal, me cogne, ou lors d’une colère, qu’elle se précipite vers moi pour me consoler. Mais à ces moments là, je ne me contrôle plus, j’en veux au monde entier et en particulier à la première personne qui vient à mon secours. Du coup, je mords, tape, griffe… Pauvre Eva ! Et malgré tout ça, elle fait le gros dos, continue à s’occuper de moi (elle enregistre même des histoires qu’elle invente sur une cassette audio, rien que pour moi). Bref, elle est géniale !

« Au dessus » d’elle, il y a Mathilde, ma grande soeur. Elle habite une semaine sur deux chez nous (l’autre semaine, c’est chez sa maman). J’comprends pas très bien le truc (« une autre maman? »), mais en réalité, c’est pas grave. Je l’aime bien aussi : elle est super intelligente et créative. Et puis, du haut de ses 15 ans, elle a une maturité à en boucher un coin à plus d’un. A l’école ou ailleurs, quand elle parle de sa famille, elle dit si simplement et avec un tel naturel qu’elle a un petit frère handicapé mental et aveugle, qu’il est arrivé qu’on lui réponde : « Hé, c’est pas vrai… parce que si c’était vrai, tu le dirais pas comme ça ! ».
Les gens sont bizarre quand même ! Comme si il fallait cultiver le malheur et ses souffrances. J’vous dis pas les réactions que reçoivent souvent mes parents lorsqu’ils expliquent mon handicap : « Mon Dieu !  » ou « C’est affreux! » ou « C’est terrible! » (sic!) etc…

Enfin pour terminer la galerie de portrait, il y a maman-superstar. Car outre le fait qu’il faille s’occuper de moi du lever au coucher du soleil (quand je suis pas à l’école), elle a son métier, la vie de famille, …et la vie avec papa (je les entends faire la fête avec des amis à la maison certains soirs, ou me confier à une baby-sitter et rentrer aux petites heures). Il n’y a pas à dire : maman, c’est de l’énergie pure, et l’optimisme à l’état brut. Elle est dévouée comme c’est pas possible avec moi. Elle a une patience infinie et trouve sans cesse des idées créatives pour m’éveiller au monde. Et puis c’est elle qui fait ma piqûre d’hormones tous les soirs (papa il a peur de faire ça). Bref, c’est la maman la plus géniale de la terre. Je tenais à ce que soit dit, parce que mon papa, c’est un bavard… et comme c’est lui qui écrit cette chronique, il parle souvent de notre relation à deux.

Une recette ?

A lire tout cela, vous devez vous demander : « Mais comment font-ils pour tenir le coup, tes parents? ». Et bien, malgré que vous n’êtes pas au bout de vos surprises (il y a encore un tas de choses à vous raconter !), mon papa et ma maman, y sont heureux, je vous jure ! Parce qu’ils s’aiment. Tout simplement. Et comme ils sont très amoureux, ils aiment les fruits de leur(s) amour(s) : moi et mes deux grandes soeurs. Ceci dit, c’est vrai, c’est pas facile tous les jours… Il y a les coups de blues, les coups de fatigue, mes moments de régression, les découragements… surtout du côté de papa. Mais ça, c’est la vie. Finalement, il n’y a pas de recette si ce n’est de soigner et entretenir l’amour en se donnant à l’autre.

Chronique 4

(Femme d’Aujourd’hui N°11 – 10/03/04)

La musique et moi…

Même si cela peut paraître évident pour un aveugle, la musique et moi, on est pote ! Bon O.K., j’ai de qui tenir avec des parents qui aime tous les genres musicaux et qui en écoutent très souvent.
Tout petit déjà, j’étais donc bercé par les disques et cassettes pour enfant de mes soeurs, la variété française ou anglo-saxonne, le jazz, le rock, la musique classique, bref, l’éclectisme total. Aujourd’hui, la musique doit m’accompagner partout ou presque : elle rythme mes repas et mes loisirs à la maison. J suis capable d’écouter deux ou trois sources sonores en même temps : une histoire audio sur mon lecteur perso, une musique sur la chaîne hi-fi, le tout pendant que mes soeurs regardent un film à la télé ! Ben ouais, ça meuble le silence !

Le premier chanteur sur lequel j’ai flashé, ce fut Dick Annegarn ( vous savez : « Bruxelles ma belle », « Sacré Géranium » etc. ). Mes parents, ils ont repéré tout de suite mon sourire « banane » lorsque je l’ai entendu pour la première fois. C’est à peine si je n’ai pas prononcé son nom avant même celui de mes soeurs ! Mieux encore, je l’ai chanté a cappella dès mes deux ans et demi. Et la note juste s’il-vous plaît ! Faut dire que lorsque je jette ainsi mon dévolu sur une musique, je suis capable de l’écouter en boucle des mois et des mois durant. Y’a donc largement le temps de la graver dans mon disque dur.
Juste après, y’a eu ma période Gainsbourg (ses premiers disques). « Juke box, juke box, je claque des doigts devant le juke box ». Le jour où maman m’a expliqué que la rythmique de cette chanson se faisait en claquant des doigts, je me suis immédiatement laissé faire pour qu’elle me montre la technique. Un comble si je vous dis que c’est un combat permanent avec moi pour essayer de me faire toucher et manipuler des choses avec mes mains. Et bien là, il n’a pas fallu insister et il ne m’a pas fallu longtemps pour que je le fasse ! Si du haut de mes trois ans, ça ressemblait plus au frottement léger d’un tissu, je peux vous dire qu’aujourd’hui, le King du clac, c’est plus Elvis ou Gainsbourg, mais moi ! Ça me prend, comme ça, par moment : il suffit que le rythme me démange le bout des articulations, et hop, c’est parti !
Après Gainsbourg, je suis passé à ma période du « trio » Benjamin Biolay, Keren Ann et Coralie Clément.
J’ai donc, au fil des années constitué ma petite discothèque perso que je réclame au gré de mes envies du moment : « J’aimerais… euh… Les Négresses Vertes » ou bien Vincent Delerm, ou Tam Echo Tam (…) Mais ne croyez pas que je prends tout ce qui vient, hein ! Par exemple, avec William Sheller que papa aime beaucoup, j’accroche pas. Allez comprendre ! Côté anglo-saxon, j’adore particulièrement Coldplay que je chante en improvisant mes propres paroles genre la litanie de toutes les personnes que je connais.
Enfin, il y a aussi les « tubes » du moment (ô drame pour papa) que je découvre à la radio pendant le trajet de l’école. Ben oui, j’échappe pas non plus au matraquage médiatique. Dès que j’entends une nouvelle zigue qui me plaît, j’entame (après le premier couplet et le premier refrain) …une seconde voix !
Du coup, quand elle sent que j’accroche à une chanson, maman m’achète le single. Cet été, elle m’a offert « Chiwawa ». Je le leurs ai fait passer en boucle, jusqu’à l’écoeurement !
Aujourd’hui, c’est au tour de « La Bamba ». Faut dire que je suis en pleine période latino en ce moment avec « Trio esperança do Brasil » (trois madames qui chantent a cappella), et « Brasilero » (dont je reproduis les mélodies complexes sans accompagnement).

Dernier détail, je suis le roi du « blind test » : mettez-moi la première note de musique d’une chanson que je connais, et je vous dis tout de suite le nom du chanteur.

Chronique 3

(Femme d’Aujourd’hui N°10 – 03/03/04)

Les Papous

Je vous disais donc la semaine dernière que j’étais différent dans ma tête… C’est un euphémisme ! Disons que je me complais souvent dans mon petit monde, fait de gestes répétitifs et de mots qui me plaisent ! Ben ouais, à défaut de vision, les sons prennent une place fondamentale dans ma vie. Et de la même manière qu’un petit enfant passe beaucoup de temps à observer les autres et à reproduire leur comportement, moi, je fais ça avec les sons. Peu importe le sens des mots pourvu que ce soit amusant et que « ça sonne bien » !
C’est ainsi qu’au hit parade de mes jeux de mots préférés, il y a les Papous. Vous savez cette comptine qui parle des Papous qui ont des poux.
Cela remonte à il y a trois ans déjà – j’en avais alors deux -. C’était en voiture. Ma grande soeur Mathilde a eu le « malheur » de me lire le texte pour m’occuper (…a part le bercement de la voiture -que j’adore- j’ai pas grand chose d’autre à y faire). Donc elle a commencé : « Chez les papous, il y a des Papous et des pas Papous. Chez les papous, il y a des Papous papas et des Papous pas papa. Chez les Papous, il y a des poux. Il y a donc des Papous papa à poux, des Papous papas pas à poux, des Papous pas papa à poux et des Papous pas papa pas à poux….(etc.) ».
Conclusion : j’ai été pris d’un fou rire… et il a fallu me répéter et me répéter encore la comptine. Et même encore parfois aujourd’hui, trois ans après !
Imaginez par exemple la tête de papa lorsque de grand matin, au sortir du lit, au lieu de lui dire bonjour, je lui sors tout de go : « Chez les papous… A papa de faire les Papous ! » (car en plus, je suis paresseux malgré une intelligence prodigieuse). Je suis un petit peu comme « Rainman » (l’autiste interprété par Dustin Hoffman) : j’ai mes lubies, mes obsessions, mes marottes et mes petites habitudes contre les quelles, je le sens bien, papa et maman tentent de mettre un frein, ou tout le moins, desquelles ils essayent de me sortir.
En fait, j’ai une sensibilité telle que je détecte, au simple timbre de la voix, si l’approche que l’on a vis-à-vis de moi est ludique ou non. Si c’est oui, on est copain, si c’est non, je me braque (colère, refus, ignorance de l’autre). Ben oui, mettez-vous à ma place : je vois pas pourquoi je prendrais pas mon pied dans la vie. Les trucs négatifs et les contraintes ont donc le même effet sur moi que sur une huître à l’approche d’un prédateur.
Le problème, c’est que papa et maman, ils n’ont pas toujours le temps de tout tourner en jeu et à l’humour

La Terre et les pays !

Comme il en a eu un peu marre des « papous à poux et des Papous pas papa à poux pas papa », mon paternel a tenté de m’expliquer la Terre et les autres pays… Je savais que j’habitais telle commune, dans telle ville, en Belgique (je connais même mon adresse), mais j’ignorais qu’il y avait des tas de pays et que la Terre était si grande. Papa m’a donc cité les pays du monde et le nom des habitants de chacun d’eux.
Aujourd’hui, je peux vous dire que les habitants de Monaco sont des monégasques, qu’en Afghanistan, ce sont les afghans, au Pakistan les pakistanais; je connais les burkinabés, les yéménites, les malgaches, les cubains, les guatémaltèques etc. Bref, c’est par ce jeu que maintenant je tourne parfois mes parents en bourrique : dès qu’ils me demandent ce que je veux faire ou durant mon repas, je réponds : « Alors Papa… dis-moi les pays ! » Etant encore plus têtu que moi, il me demande toujours de commencer et d’en citer quelques uns avant de prendre le relais, ce que je ne fais pas toujours de gaieté de coeur. J’vois pas pourquoi je me fatiguerais alors que papa, il les connaît tous !

Chronique 2

(Femmes d’Aujourd’hui N°9 – 26/02/04)

Mon mode d’emploi

Là où je me marre (quoique des fois ça m’énerve), c’est que mon papa et ma maman, ils n’ont toujours pas trouvé le mode d’emploi complet pour communiquer avec moi. Bon, O.K., je suis pas simple…
Le problème, c’est qu’en l’absence de vision, je perçois la vie comme vous vivez un rêve où il vous manque certaines perceptions. Je voudrais bien contrôler le scénario, mais cela ne se passe pas toujours comme je veux, faute d’une vision complète avec toutes les infos. Et puis, il y a ce grain de sable dans ma tête qui fait que les rouages grippent par moment : je ne conceptualise pas facilement les choses. Par conséquent, allez m’expliquer que je ne peux pas aller m’asseoir dans l’herbe du jardin parce qu’il pleut ! Papa n’a qu’à arrêter la pluie de la même manière qu’il arrête ou remet un CD dans le lecteur, pardi ! Ils ont beau m’expliquer que c’est pas eux qui décident du temps, moi, j’ai du mal à comprendre. Bref, parfois, je trouve mes parents nuls et comme n’importe quel enfant, je le leurs fait savoir par tous les moyens à ma disposition.

C’est quoi le jour et la nuit ?

Dans le même registre, j’ai parfois furieusement tendance à confondre le jour et la nuit. Logique puisque je ne vois pas la lumière ! Ma seule référence c’est le calme. Alors il m’arrive de faire la fête dans mon lit tard le soir, ou parfois à partir de 3, 4 ou 5 heures du mat. (j’ai le droit de guindailler dans mon lit, quand même !).

L’autre jour, il devait être cinq heures lorsque je me suis mis à crier dans mon lit (en zozotant) : « Mainsenant fa fuffit, Mefieu René ! ». Ben oui, je ne dormais plus et je m’occupais en imitant Monsieur René (un de mes grands classiques). Le dit Monsieur René est une personne âgée qui s’occupe de la chorale de l’école. Alors comme j’adore chanter, et surtout, comme les voix particulières attisent ma curiosité (faut dire que je reconnais quiconque de mon entourage à la première syllabe) …et que le monsieur, il a un « seveux » sur la langue, j’ai un malin plaisir à imiter ses colères (car y’en a de sacrés loustics comme moi à gérer à l’école).
Hélas, ce jour là, réveillée par mon chahut, Maman n’a rien compris à mes talents d’imitateurs parce qu’elle est venue me demander d’arrêter !
J’admets qu’après ce genre de raves en solo, les jours qui suivent, je suis naze-crevé. Du coup, à l’école (spéciale pour les cas géniaux comme moi), je suis guère coopératif, ce qui au début, tracassait ma maîtresse qui ne comprenait pas pourquoi un jour je pétais la forme et le lendemain je la jouais genre « Fort Chabrol ».
Il y a des jours où je suis parfois tellement crevé de mes décalages horaires que je m’endors dans la voiture au retour de l’école.
Dur dur donc de prendre un rythme de vie régulier en l’absence de la lumière. Ceci dit, en grandissant, je commence à prendre mes repères.
Au fait, c’est quoi le jour et la nuit ? C’est quoi 24 heures ? Une journée ? Un an ? C’est quoi le temps qui passe ? De fameuses colles pour mes parents…

Pour terminer et à propos de Monsieur René : en juin dernier, on avait appris la chanson : « Adieu monsieur le professeur », pour le départ à la retraite de notre directeur. C’était un secret. Evidemment, moi, la chanson, je la connaissais dès la première répétition. Je l’ai donc chanté non stop à l’école : « Adieu monsieur le directeur… ». Pour une surprise, ce fut une surprise ! Hum…

Ah oui, dernier truc : si vous croisez dans la rue un papa avec son fils qui passent leurs temps à zozoter en déconnant, ne vous étonnez pas. C’est nous !

Chronique 1

(Femme d’Aujourd’hui N°8 – 19/02/04)

Bonjour, je m’appelle Lou. Je suis un petit garçon de cinq ans qui ne voit bien qu’avec le coeur, ce qui rend la vie de mes parents et mon éducation épiques ! Je suis donc aveugle et différent dans ma petite tête blonde.

Si vous le voulez bien, je vous raconterai, semaine après semaine, la folle histoire de mon apprentissage de la vie. Mais je vous rassure tout de suite : pas question de pleurer sur mon sort. Mon papa, y n’écrit pas tout cela pour vous faire verser une larme… Que du contraire. Je suis un sacré numéro, parce que s’il y a bien une chose que j’ai intégré de votre monde, c’est l’humour. A moins que je ne sois né comme ça.
Papa et maman vivent donc une expérience hors du commun : Je suis un Petit Prince tombé d’une autre planète à qui il faut tout apprendre, différemment de ce qu’ils ont déjà fait avec mes deux grandes soeurs. Avec moi, vous pouvez tout de suite retourner à la lettre « A » de l’alphabet, et encore… Il vous faudra commencer à réfléchir à la manière de m’expliquer ce qu’est une « lettre », à distinguer la définition : caractère ou courrier, car sans la vue et avec un esprit vagabond et ludique comme le mien, c’est une gymnastique permanente de l’esprit à laquelle il faut se livrer. Et puis n’oublions pas qu’avec moi, les lettres, y faudra encore me les convertir en braille… Mais ça, c’est une autre aventure qui m’attend pour les années à venir.

Bref, papa a plein d’anecdotes à vous raconter, de photos étonnantes à vous montrer, car pour être expressif, je suis expressif ! Tant au niveau du timbre de ma voix (mais ça, vous ne pouvez pas l’entendre) qu’au niveau des expressions de mon visage. Un vrai petit caméléon qui change sans cesse de couleur, sauf que moi, je n’ai, à l’inverse de vous, aucun mimétisme puisque je ne vois pas. Toutes mes expressions faciales sont innées ! Je n’ai aucune référence à ce propos. Etonnant n’est-ce pas ?

Donc voilà, dès la semaine prochaine, je commencerai à vous raconter mes aventures, souvent rocambolesques et drôles, parfois marquées par les difficultés légitimes qu’entraînent mes handicaps, parce qu’il ne faudra pas non plus mentir : la vie est faite de hauts et parfois aussi de bas.

Enfin, vous l’aurez compris, tous les textes de cette chronique seront donc pensés et écrits par papa. J’en suis bien incapable actuellement, et seul l’avenir dira si je parviendrai un jour à comprendre le monde qui m’entoure et si je choisis de m’y intégrer pleinement.

A la semaine prochaine !

Envie de voir des vidéos de moi ?
2 adresses :
CLIQUEZ ICI
CLIQUEZ ICI